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Transalpine Run 2017 : 7 jours inoubliables

 

 

Une traversée des Alpes de 267 km du nord vers le sud, 15 556 m de dénivelé positif, 7 étapes, 4 pays (Allemagne, Autriche, Suisse, Italie), un peu moins de 300 équipes de 2 coureurs : voilà en résumé ce qu’est la Transalpine Run.

Après y avoir rêvé pendant plusieurs années, je me suis finalement décidé en décembre 2016 à participer à l’édition 2017. Seul problème : conformément au règlement, il me fallait un partenaire. J’ai donc contacté quelques membres de Courir Le Monde susceptibles d’être assez fous pour m’accompagner dans un tel défi, mais sans succès. J’ai finalement trouvé un partenaire allemand par le biais du site Internet de la course. Il a suffi d’un entraînement en commun clôturé par un chocolat chaud afin de partager nos impressions : c’était décidé, nous allions faire équipe dans cette aventure.

Samedi 2 septembre. C’est après sept longues heures de train que j’arrive à Fischen im Allgäu, en Bavière, où sera donné le départ demain matin. J’y retrouve mon coéquipier, puis nous allons chercher notre dossard dans la salle communale. On nous donne notamment un grand sac de sport vert de marque Salomon qui servira au transport par l’organisation de nos affaires d’hôtel en hôtel. Nous transvasons donc le contenu de nos valises dans celui-ci, puis prenons une navette pour aller poser le tout à l’hôtel, situé à Sonthofen, à une dizaine de kilomètres, avant de revenir pour la pasta party et le briefing relatif à l’étape de demain.

Dimanche 3 septembre. Même si j’ai bien dormi, je me réveille relativement stressé. Je suis partagé entre l’excitation du grand jour et la crainte de ne pas arriver à boucler cette course. Je sais que la réussite ou non de mon entreprise dépendra de ma capacité à récupérer entre les étapes ainsi que de la gestion de mon énergie tout au long de la semaine. J’ai donc fait le choix de miser sur deux outils que je n’utilise habituellement pas car je n’aime pas ça : d’une part des bâtons de trail pour m’économiser durant les nombreuses montées, et d’autre part des manchons de compression pour optimiser la récupération de mes mollets, qui seront très sollicités dans les descentes.

Au menu de la première étape aujourd’hui : 42,7 km et environ 2000 m de dénivelé positif qui vont nous faire quitter la Bavière et l’Allemagne pour Lech am Arlberg, en Autriche. En raison des inondations qui ont touché la région ces derniers jours, le parcours a toutefois été légèrement modifié, ce qui va nous rajouter 2 kilomètres mais nous ôter quelque 400 m de dénivelé. Tant mieux !

Etant donné qu’il pleut des cordes, nous attendons comme beaucoup d’autres coureurs à l’intérieur de la salle communale, avant de nous rendre sur la ligne de départ après avoir rapidement fait contrôler le matériel obligatoire.

Une minute avant le coup de pistolet, la sono fait retentir une de mes chansons préférées : le célèbre « Highway to hell » d’AC/DC. Nous y aurons droit avant le départ de chaque étape, ce qui n’est pas pour me déplaire. Aujourd’hui en tout cas, avec cette pluie battante qui nous gèle la peau, le contexte est parfaitement approprié !

Une fois le départ donné, nous partons prudemment. Les neuf premiers kilomètres étant majoritairement plats et sur route, nous nous faisons dépasser par de nombreux coureurs. Loin d’être déstabilisés, nous conservons notre rythme sans trop nous fatiguer jusqu’au premier ravitaillement. Je profite des mets quelque peu inhabituels que l’on nous propose (saucisse, salami, jambon cru, fromage, gros cornichons sucrés…) pour refaire le plein d’énergie, tandis que mon partenaire prend le temps de réaliser des étirements. Nous nous remettons ensuite en chemin, toujours majoritairement sur du bitume. Nous apprendrons plus tard que cette forte proportion de béton aujourd’hui s’explique surtout par le changement d’itinéraire dû aux crues et que les autres étapes ne seront en rien comme cela.

Le parcours se fait désormais beaucoup plus vallonné, sans non plus être vraiment raide. Tandis que mon coéquipier déplie immédiatement ses bâtons, je fais le choix d’appuyer mes bras sur mes cuisses comme à mon habitude, avant finalement de me résoudre à utiliser moi aussi les bâtons lorsque les côtes deviennent plus pentues.

A mi-chemin, un ruisseau relativement large se dresse devant nous. Afin de le traverser sans (trop) me mouiller les pieds, je décide de passer le long du champ situé à ma gauche tout en m’aidant de la clôture pour ne pas tomber. Avant même que je ne réalise ce que je suis en train de faire, je suis surpris par une décharge électrique qui, même si elle n’est pas très forte, me déséquilibre à tel point que je me retrouve les deux pieds dans l’eau. Quelques gros mots plus tard et après m’être arrêté un peu pour reprendre mes esprits, je repars légèrement sonné.

Nous passons finalement main dans la main la ligne d’arrivée de cette première étape après 6h10 de course, avec 42,9 km et 1769 m de dénivelé positif au compteur. Même si j’ai l’impression d’avoir relativement bien géré mon énergie, j’ai un peu peur de l’état dans lequel je serai demain matin. Je me demande notamment ce qu’il en sera des courbatures…

Nous restons un moment dans la zone d’arrivée. Lorsque l’on nous laisse le choix entre une bière normale et une sans alcool, j’opte (pour une fois !) pour cette dernière afin d’optimiser la récupération. Pendant les heures qui suivront, je garderai en outre les manchons de compression aux jambes, ce qui s’avèrera être une bonne idée.

 

 

Lundi 4 septembre. Le départ étant donné à 9h00, nous avons réglé notre réveil à 6h00, mais c’est malheureusement dès 5 heures environ que j’ouvre les yeux. J’ai relativement bien dormi, c’est déjà ça. Je n’ai que peu de courbatures et suis donc plutôt confiant avant la deuxième étape, d’autant plus qu’il s’agit de la plus courte de toutes : 24,2 km (et 1987 m de dénivelé positif tout de même). Elle doit cette fois nous mener jusqu’à St. Anton am Arlberg, toujours en Autriche.

Lorsque nous sortons de l’hôtel pour nous rendre sur la ligne de départ, je suis pétrifié par le froid : 4 degrés ! Moi qui avais peur d’avoir chaud pendant cette Transalpine Run… Nous nous échauffons très légèrement, puis rejoignons notre sas. Contrairement à hier, il y aura trois départs en fonction de notre classement de la veille. Nous partirons aujourd’hui dans la dernière vague, à savoir le bloc C (nous avons terminé 208e sur 282 hier).

Une fois le départ donné, nous avons droit à un peu moins d’un kilomètre de plat avant d’être freinés sec par une montée très raide dans la forêt qui doit nous mener à 2350 m d’altitude, donc 1000 m plus haut que notre point de départ. Nous nous retrouvons bientôt avec les pieds dans la neige (ce qui nous ralentit encore davantage et augmente l’intensité de l’effort), mais quel paysage ! Je suis émerveillé par cet univers de monts enneigés de tous côtés et en profite pour prendre de nombreuses photos.

Lorsque nous arrivons enfin en haut, nous nous réchauffons rapidement au poste de ravitaillement, avant de repartir pour une longue descente particulièrement glissante sur la neige. Le temps de passer le second ravitaillement, et c’est un gros os qui nous attend : une montée extrêmement raide aux allures de kilomètre vertical. Je laisse mon partenaire m’attendre en haut pendant que j’avance tant bien que mal, d’abord au milieu des vaches puis sur des sentiers plus alpins. Une fois ce calvaire terminé, nous avons droit au troisième et dernier ravitaillement avant d’attaquer une descente très agréable durant laquelle je peux enfin lâcher les chevaux, quitte à semer par moments mon coéquipier. Problème : je me suis tellement fait plaisir dans la descente que j’en ai la tête qui tourne au moment d’aborder la dernière montée (courte mais intense) du parcours ! L’étape s’achève ensuite par une longue descente en forêt qui nous conduit tranquillement mais sûrement à St. Anton, où nous sommes accueillis par des représentants de la commune après 5h17 de course et 27 km à ma montre.

Une bière (sans alcool) et un petit en-cas au quinoa plus tard, nous prenons possession de notre chambre d’hôtel, située juste devant la ligne d’arrivée. Autant dire que nous n’aurons pas besoin de faire un long trajet demain pour revenir sur la ligne de départ !

J’en profite pour préciser que mon coéquipier et moi avons choisi de passer par Host, une société partenaire des organisateurs qui s’est chargée de nous trouver une chambre d’hôtel à chacune des villes-étapes en échange d’un prix forfaitaire.

Cette journée, qui s’est avérée éreintante mais qui nous a offert des paysages magnifiques, se termine par l’habituelle pasta party puis par une séance de massage de 20 minutes par des professionnels. Après tout, nous l’avons bien méritée !

 

 

Mardi 5 septembre. Cette fois, c’est à 3 heures du matin que je me réveille. Il faut dire aussi que j’étais tellement fatigué hier soir que je me suis endormi avant 22h, ce qui est relativement tôt pour moi. Le massage m’a en tout cas fait beaucoup de bien : mes jambes sont quasiment comme neuves !

Comme avant-hier, c’est sous la pluie que le départ est donné. Après 2 km de plat, nous affrontons une longue montée jusqu'à 2000 m d’altitude, puis une descente guère plus facile dans la boue. Bien que celle-ci soit relativement roulante, l’état désastreux du sentier nous force à rester vigilants en permanence, ce qui est très usant à la longue. Tandis que mon coéquipier glisse plusieurs fois dans la boue sans pour autant se faire mal, il me suffit d’une chute et d’un atterrissage les fesses sur une pierre pointue pour être sonné durant plusieurs dizaines de minutes.

Lorsque nous arrivons au premier poste de ravitaillement, j’ai de la boue partout sur les mains, les jambes et les bâtons. J’en profite donc pour me nettoyer rapidement en plus de remplir ma poche à eau et de manger deux ou trois choses.

Nous avons ensuite droit à quelques kilomètres de plat le long d’une petite rivière avant d’attaquer une longue montée, d’abord très pentue puis plus modérée. J’accuse le coup après avoir perdu beaucoup d’énergie dans la boue un peu plus tôt, ce qui force mon partenaire à m’attendre. En effet, même s’il n’y a qu’à des points de contrôle définis (et bien sûr à l’arrivée) que nous devons arriver avec moins de deux minutes d’écart l’un de l’autre, nous courons quasi-systématiquement ensemble depuis le début de cette Transalpine Run.

Lorsqu'il en est fini des côtes, je reprends petit à petit des couleurs sur la très longue descente vers Landeck, qui sera notre dernier point de chute autrichien avant que nous ne prenions la direction de la Suisse demain. La descente s’effectue d’abord dans l’herbe, puis sur la route. C’est à présent mon coéquipier qui connaît un passage à vide, ce qui me contraint à l’attendre alors que je me sens tout à fait capable de foncer jusqu’à l’arrivée. Après un arrêt éclair au dernier ravitaillement, quelque peu inutile car situé à cinq kilomètres (de descente) seulement de la ligne d’arrivée, nous accélérons de nouveau à l’approche de celle-ci et en profitons pour doubler à toute vitesse une équipe de Chinois, un duo féminin et, sur le fil, des Finlandais qui nous serreront la main avec le sourire une fois la ligne d’arrivée franchie.

C’est après un peu plus de 7h30 de course que s’achève cette étape de 39,9 km et 2019 m de dénivelé positif. Le fait de constater que la grande majorité des coureurs boîte après cette journée difficile nous rassure : nous ne sommes pas les seuls à avoir souffert ! Nous nous accorderons ce soir encore un massage, car l’étape de demain sera - en tout cas sur le papier - la plus difficile de toutes : 46,5 km et 2930 m de dénivelé positif, avec une montée jusqu’à 2787 m d’altitude. Le tout, bien sûr, avec déjà plus de 100 km dans les jambes depuis avant-hier. Gloups !

 

 

Mercredi 6 septembre. Lorsque j’ouvre les yeux, il est 3h30. Le réveil sonnera dans une heure, car notre hôtel est situé à quelques kilomètres de Landeck et le départ de l’étape est prévu à 7h00 en raison de la longueur du parcours d’aujourd’hui. Je savais que cette semaine de vacances ne serait pas de tout repos (c’est le moins que l’on puisse dire !), mais je ne pensais pas que je serais autant et aussi vite en manque de sommeil.

Rarement mon degré de motivation a été aussi bas que ce matin. Je n’ai aucune envie de repartir pour de longues heures d’effort. Je crois que, s’il n’y avait pas mon coéquipier, j’abandonnerais sur-le-champ. Malheureusement, je ne peux pas lui faire faux bond à quelques heures du départ. Je décide donc d’attendre de voir comment se déroulera l’étape d’aujourd’hui et de reconsidérer la question ce soir. Les organisateurs disposeront alors de suffisamment de temps pour lui attribuer un autre partenaire, ce qui lui permettra d’être finisher bien que mon abandon nous fasse quitter le classement officiel. Mais bien entendu, il est hors de question de lui en toucher un mot avant ce soir.

Une fois à proximité du départ, nous nous échauffons brièvement, comme chaque matin. Une chose change cependant : aujourd’hui, nous partirons pour la première fois du bloc B grâce à notre belle remontée au classement. Nous avons en effet terminé à la 173e place hier.

Les cinq premiers kilomètres sont parfaitement plats, voire légèrement descendants. Et pourtant, j’ai hâte d’attaquer les côtes pour ne plus avoir à imprimer une certaine vitesse. Je crois que la tête est aussi éreintée que les jambes…

S’ensuivent neuf longs kilomètres de montée plus ou moins pentue dans la campagne. A défaut de pouvoir aller très vite, nous profitons du paysage et croisons de nombreuses vaches. Après avoir passé le premier ravitaillement avec une heure d’avance sur la barrière horaire, nous alternons montées et descentes tout en restant en altitude. Les sentiers, relativement techniques, sont composés dans un premier temps de rochers, auxquels viennent ensuite s’ajouter la neige et la boue. Comme si cela ne suffisait pas, je ressens une douleur de plus en plus forte à l’avant du pied droit qui se manifeste surtout dans les descentes et qui me vaut quelques cris lorsque je heurte involontairement des pierres.

Après avoir passé le dernier poste de ravitaillement, situé à la frontière entre l’Autriche et la Suisse, nous entamons un long mais agréable passage en forêt durant lequel je dois toutefois m’arrêter deux fois en raison de problèmes gastriques. A quelques kilomètres de l’arrivée, nous doublons une équipe d’Australiens avec qui nous échangeons des encouragements. C’est finalement après 9h07 de course que nous arrivons, fatigués mais soulagés, dans le très joli village de Samnaun.

Immédiatement après m’être vu remettre l’incontournable bière sans alcool, je décide d’aller consulter l’équipe médicale à propos de mon pied, qui s’avère être fortement enflé. On m’applique une pommade, puis on me donne de la glace à utiliser après la douche ainsi qu’un anti-inflammatoire pour « être en mesure de courir demain ». En effet, même si l’étape a encore une fois été particulièrement difficile, je n’ai pas l’intention d’arrêter en si bon chemin !

Après avoir pris une douche et préparé nos affaires pour demain, nous nous dirigeons vers la pasta party, qui se distingue clairement de celles des jours précédents : tout d’abord parce qu’elle est située en altitude (nous devons nous y rendre en téléphérique) et offre ainsi un cadre majestueux et une vue à couper le souffle sur les montagnes environnantes, mais aussi parce qu’aujourd’hui, on ne se contente pas de nous proposer un plat de pâtes : nous avons droit à une entrée, des spécialités locales et plusieurs desserts, auxquels nous faisons honneur comme il se doit.

 

 

Jeudi 7 septembre. Aujourd’hui, c'est vers 5 heures que je me réveille. Cela ressemblerait presque à une grasse matinée en comparaison avec les jours précédents ! En outre, je me sens relativement bien. Je n’irai pas jusqu’à dire que je suis motivé, mais la perspective de passer encore 7 ou 8 heures sur les sentiers aujourd'hui ne me pose aucun problème. C’est déjà ça…

Après avoir comme chaque matin fait vérifier le matériel obligatoire par l’organisation, nous entrons relativement tôt dans le sas de départ, de nouveau dans le bloc B. Mon coéquipier a insisté pour que nous ne perdions pas de temps afin d’être bien placés et donc de ne pas être gênés sur les premiers kilomètres par des coureurs plus lents que nous. En effet, nous allons devoir affronter d’entrée 600 m de dénivelé positif jusqu’au premier ravitaillement, pour lequel une barrière horaire relativement serrée (1h45) a été fixée. Au programme aujourd’hui : 39 km et 2227 m de dénivelé.

Dans la pratique, la côte s’avère effectivement très raide, mais la largeur des sentiers permet de dépasser facilement. C’est finalement après moins d’une heure que nous atteignons le point de contrôle situé juste avant le poste de ravitaillement. Nous devons ensuite continuer à grimper jusqu’à 2600 m d’altitude dans la neige et les cailloux, ce qui est tout sauf facile. Après nous être hissés comme nous le pouvions jusqu’au point culminant du parcours, nous nous reposons un peu et en profitons pour faire quelques photos des magnifiques montagnes qui nous entourent.

S’ensuit une longue descente dans les cailloux et dans les bois, durant laquelle nous retrouvons des couleurs et en profitons pour doubler plusieurs équipes en fin d’étape, alors que nous arrivons à Scuol, une très belle ville du canton suisse des Grisons que j’ai déjà eu l’occasion de visiter il y a quelques années. Juste avant d’atteindre la ligne d’arrivée, nous passons sur un pont de bois du haut duquel nous jouissons d’une vue sublime sur la vallée et les montagnes. Nous y reviendrons d’ailleurs quelques heures plus tard pour prendre des photos au même endroit, tout comme de nombreux autres coureurs.

Après ces 7h18 de course, je passe rapidement au poste médical car j’ai toujours mal au pied, en particulier dans les descentes. Mon pied étant toujours aussi enflé, on me donne une nouvelle fois de la pommade ainsi que de la glace.

A l’issue de la pasta party qui, comme hier, s’est tenue dans un bâtiment situé en altitude et accessible uniquement en télécabine, nous nous accordons une séance de massage qui, pour ma part, est cette fois concentrée exclusivement sur mon pied, le but étant de détendre au maximum les tendons. Je doute que cela change quelque chose, mais ça ne coûte rien d’essayer…

 

 

Vendredi 8 septembre. C’est à reculons que je suis mon coéquipier jusqu’à la ligne de départ. Etant donné qu’il s’agit aujourd’hui de l’avant-dernière étape, il n’est pas question d’abandonner : sauf grosse blessure, j’irai au bout, peu importe le temps que cela prendra. Mais il faut dire ce qui est : je n’ai aucune envie de courir.

L’étape du jour sera relativement longue (44,1 km), mais le dénivelé positif à affronter (1692 m) sera plutôt modéré en comparaison avec ce que nous avons connu ces derniers jours.

Après quelques kilomètres de plat, nous montons progressivement le long de magnifiques gorges. Non seulement le cadre est impressionnant, mais le profil du parcours, rarement très pentu, me convient également très bien.

Après une dizaine de kilomètres et alors que mon partenaire et moi courions jusqu’ici presque toujours ensemble, je l’entends s’énerver tout seul parce que la fille devant nous ne court pas assez vite à son goût et qu’il n’y a pas suffisamment de place pour doubler sur ce passage caillouteux à proximité du bord de la falaise. Il profite d’un endroit légèrement plus large pour la dépasser à toute vitesse et disparaître loin devant. Surpris par son comportement, je reste un moment interloqué, avant de me rendre à l’évidence : je ne peux de toute façon pas aller plus vite, il est donc hors de question que je le suive à ce rythme effréné.

Je continue par conséquent mon petit bonhomme de chemin à mon allure, sans me soucier de lui. Il devra de toute façon m’attendre avant le prochain poste de ravitaillement (il ne prendra pas le risque que l’on nous inflige une pénalité pouvant aller jusqu’à deux heures), donc autant que je profite de l’occasion pour courir plus détendu. En effet, le fait de savoir qu’il est plus rapide que moi en montée et qu’il doit donc adapter son rythme au mien (tout comme je le fais en descente) constitue une source de stress.

Je quitte bientôt les gorges pour une section de parcours relativement plate sur des sentiers caillouteux à travers champs. Le soleil a enfin montré le bout de son nez, si bien qu’il fait relativement chaud à présent. Je ne me suis encore jamais senti aussi bien depuis le début de la Transalpine Run : le parcours est sublime sans être trop pentu, nous sommes entourés par de magnifiques montagnes et longeons de jolis lacs d’altitude, il fait beau et bon… Que demander de plus ?

Je passe un peu plus tard un portique qui marque la frontière entre la Suisse et l’Italie. Après une nouvelle côte, le moment est venu de me faire plaisir comme rarement : j’attaque une longue descente sur des sentiers forestiers regorgeant de racines qui sont tout autant de pièges pour les coureurs. Très à l’aise sur ce type de parcours, j’accélère autant que je le peux et double à toute vitesse de nombreux participants bien plus prudents, parmi lesquels deux Danois qui, depuis le début de la course, ont toujours été hébergés dans le même hôtel que nous et avec qui nous avons donc régulièrement eu l’occasion de discuter. Je ne tarde pas à apercevoir mon partenaire, 10 km après qu’il m’a faussé compagnie. Il me voit et me fait signe de ralentir, mais je n’en ai pas l’intention pour l’instant. Légèrement rancunier, je le double à toute vitesse jusqu’à me trouver plusieurs centaines de mètres devant lui, puis me décide à ralentir pour l’attendre.

Nous continuons à son allure jusqu’au dernier poste de ravitaillement, situé un peu plus loin, puis terminons à un rythme relativement soutenu cette étape qui s’avèrera être celle où nous avons réalisé la meilleure performance au classement (avec une belle 123e place) et que j’ai pris le plus de plaisir à courir. Après avoir doublé une équipe d’Allemands sur le fil, nous passons au bout de 6h54 de course la ligne d’arrivée dans le joli village de Prato allo Stelvio (Prad am Stilfserjoch en allemand), situé dans le Tyrol du Sud, une région germanophone de l’Italie. Ce soir, lors de la pasta party, nous aurons d’ailleurs le droit à un spectacle de folklore tyrolien particulièrement agréable et rafraîchissant qui nous permettra de constater que nous sommes ici bien plus proches de la culture allemande que de celle du pays !

 

 

Samedi 9 septembre. Je ne suis pas fâché que la course se termine ce soir : je suis extrêmement fatigué, mon pied droit a doublé de volume et me fait mal (tout comme mon tibia), et j’éprouve des difficultés à respirer profondément depuis quelques jours. Bref, tout va bien.

Le départ de cette dernière étape de 31 km et 2600 m de dénivelé positif devait initialement être donné à 8 heures, mais il a été avancé à 7 heures en raison des risques d’orage annoncés pour la fin d’après-midi. C’est donc de nuit que nous nous rendons au départ depuis l’hôtel.

Un dernier petit échauffement d’avant-course, un dernier contrôle du matériel obligatoire, un dernier « Highway to hell » qui résonne une minute avant le coup de pistolet, et c’est parti pour un peu de plat puis une longue alternance de côtes plus ou moins raides. Même si nous sommes ravis d’avoir pu partir pour la quatrième et dernière fois du bloc B, le rythme des coureurs situés devant et derrière nous sur ces « single tracks » est trop rapide pour moi, ce qui m’oblige à faire régulièrement de brèves pauses afin de retrouver mon souffle. Lorsque l’une de mes chaussures reste accrochée à une pierre (m’obligeant à m’arrêter pour la remettre), je fais signe à mon partenaire d’avancer sans se préoccuper de moi. Une longue descente étant prévue un peu plus loin, j’aurai certainement l’occasion de le rattraper par la suite.

J’essaie de ne pas me laisser déstabiliser par le fait que de nombreux coureurs me dépassent et continue à mon rythme en essayant de perdre le moins de temps possible. Une fois en haut, alors que je pensais que le calvaire était terminé, je glisse dans la boue et tombe sur le flanc, heureusement sans conséquences. Décidément, ce n’est pas mon jour…

Après une descente en forêt relativement roulante qui me permet de doubler un certain nombre de participants, je retrouve mon coéquipier peu avant le deuxième et dernier ravitaillement. J’appréhende à présent l’ultime montée de cette course, qui va nous faire prendre 1350 m de dénivelé positif pour atteindre une altitude de 2886 m. Autant dire qu’il ne s’agira pas d’une partie de plaisir…

Contrairement à ce que je pensais, la première partie de la côte, en forêt, est relativement agréable. C’est aux alentours de 2000 m d’altitude que cela se complique : nous devons à présent évoluer sur des sentiers très caillouteux et étroits qui nécessitent une grande concentration. La fin de la montée s’annonçant toutefois pour bientôt, mon partenaire décide, à 2400 m d’altitude, de prendre de l’avance en prévision de la descente. Cela ne me pose aucun problème… Sauf que nous sommes encore loin d’être au bout de nos peines ! Les dernières centaines de mètres de dénivelé positif s’avèrent en effet très difficiles et techniques. Comme si cela ne suffisait pas, le froid et le vent viennent s’en mêler. A 2500 m d’altitude, un membre de l’organisation nous enjoint à enfiler nos gants, ce que je fais effectivement peu après.

C’est avec un soulagement non dissimulé que j’arrive au sommet, où un autre membre de l’organisation me donne des instructions au sujet de passages dangereux au début de la descente. J’accélère ensuite petit à petit, au fur et à mesure que mon corps se réchauffe, mais la technicité des sentiers m’empêche d’évoluer à la vitesse souhaitée. En outre, j’éprouve de plus en plus de difficultés à respirer, probablement en raison de la répétition des postures inadaptées depuis une semaine, notamment à cause du sac à dos. Je termine donc au ralenti, sans prendre de risques. Ce serait tout de même dommage d’être parvenu jusqu’ici et de ne pas pouvoir arriver au bout !

Je rejoins mon coéquipier à quelques centaines de mètres de la ligne d’arrivée, à Solda (Sulden en allemand). Quelques minutes plus tard, après 7h02 de course, nous passons main dans la main la ligne d’arrivée, située dans une grande halle aménagée pour l’occasion, avant de nous tomber dans les bras l’un de l’autre.

Je reste ensuite immobile pendant un long moment, comme sonné. Je n’en reviens pas : nous l’avons fait ! J’ai mal partout, mais je l’ai fait. Je suis l’homme le plus heureux du monde.

Le marathonien blessé
 

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Invité
vendredi 29 mars 2024

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